L'événement

© Sébastien Armengol

Créée en 2019, La Nuit du Cirque est une grande manifestation qui célèbre le cirque, sous toutes ses facettes et dans tous les territoires, en France et à l’étranger.

C'est un moment suspendu au cœur de l’automne, fédérateur et festif, pour partager tous ensemble la vitalité et la diversité de cet art résolument populaire et exigeant en mettant en valeur l'engagement du cirque dans les combats sociétaux et environnementaux, ainsi que sa dimension interculturelle et intergénérationnelle.

La Nuit du Cirque est une photographie de la diversité de la création circassienne à l’instant T qui raconte, au fil des éditions, l’histoire d’un art en mutation permanente, parfaitement perméable aux grandes questions qui font débats de société.

Événement international initié et organisé par Territoires de Cirque avec le soutien du ministère de la Culture en France, en collaboration avec l’Institut français et avec l’appui de Circostrada, ProCirque (Suisse), BUZZ et Forum Neuer Zirkus (Allemagne), la FFEC - Fédération Française des Écoles de Cirque, la FEDEC - Fédération Européenne des Écoles de Cirque professionnelles, Circuscentrum (Belgique) et l'Association tchèque de cirque contemporain (République Tchèque).

Le mot de Territoires de cirque

Entretien avec Vincent Berhault
Vice-Président de Territoires de Cirque
Directeur de la Maison des Jonglages

Cette 6ème Nuit du Cirque portée par Territoires de Cirque (TDC) s’inscrit dans la belle dynamique de progression que connaît l’événement depuis sa création en 2019, avec un nombre toujours plus important de lieux participants et de propositions, non seulement en France mais aussi à l’étranger. Ce qui est particulièrement réjouissant dans le contexte économique et politique difficile qui est le nôtre. Faut-il pour autant en conclure que le cirque de création échappe à la conjoncture ?

Cette vaste Nuit du Cirque, qui pour la 4ème année s’étend sur trois jours, prouve assurément la grande richesse de ce jeune champ artistique qu’est le cirque de création, qui depuis sa naissance dans les années 70-80 – on parlait alors plutôt de « nouveau cirque », par opposition au cirque traditionnel – n’a de cesse que de grandir. Alors qu’il n’existait au début qu’une poignée de compagnies comme le Cirque Plume et Archaos qui construisirent de grandes aventures artistiques, le paysage circassien compte aujourd’hui un nombre de compagnies important et en augmentation constante. Ce que reflète très bien la Nuit du Cirque, qui en offrant une photographie à l’instant T la plus juste possible de l’état du cirque de création témoigne forcément de cette dynamique.

Laquelle va toutefois nécessairement être affectée par les coupes budgétaires annoncées pour l’ensemble des arts vivants et plus généralement des services publics, qui interviennent dans un contexte déjà très fragilisé par le Covid puis par la hausse du coût de l’énergie qui se fait au détriment du disponible artistique. De nombreuses compagnies, même bien installées, ont une saison 24-25 très réduite et une visibilité très limitée et peu engageante sur la suite. La Nuit du Cirque est d’autant plus précieuse.

La progression du Rassemblement National a fait réagir un certain nombre d’artistes du milieu théâtral, qui a alors formulé ses questionnements voire son autocritique sur la façon dont il assure sa mission de service public. Qu’en est-il selon vous du cirque de création ?

Historiquement, le cirque de création est un art de grande proximité et répond de manière très pertinente à la problématique d’une offre culturelle pour toutes et tous à la fois populaire et exigeante esthétiquement. Cependant dans le secteur du cirque les notions de diversité et d’inclusion sont encore à travailler autant du côté des publics que par le soutien à des équipes artistiques plus représentatives de la richesse multiculturelle de la société française. De plus, grâce au chapiteau, le cirque peut se déplacer au plus près des habitants, y compris sur des territoires où l’offre culturelle est rare. C’est l’une des raisons pour lesquelles la création sous chapiteau est à défendre, ce que font plusieurs participants à la Nuit du Cirque, où l’on peut découvrir une vingtaine de spectacles sous chapiteau. On peut citer par exemple la création de la compagnie Rasposo, Hourvari, qui naît pour l’occasion au Palc – Pôle National Cirque de Châlons-en-Champagne (51), la dernière création de la Cie Max et Maurice, Les Grands Fourneaux #2 à Mondeville (14), Foutoir Céleste de Cirque Exalté à Nantes (44), Cirque Queer à La Seyne-sur-Mer (83)…

Toutefois, la recherche de reconnaissance du cirque de création comme un art majeur par les institutions et le public a généré un déploiement important de créations à destination de la salle et de l’espace public au détriment, parfois, du chapiteau. Le coût d’une création sous chapiteau est aussi souvent difficile à assumer même si l’idée reçue d’un impact environnemental fort est aujourd’hui véritablement remise en question. Il est important de soutenir ce mode de diffusion qui fait partie de l’ADN du cirque.

La création en espace public va elle aussi très directement à la rencontre des publics. Comment la Nuit du Cirque prend-elle en charge ce pan de la création circassienne ?

Le cirque se joue en effet souvent en extérieur, ce que le mois de novembre permet peu. D’où l’assez faible représentation de ces propositions pendant la Nuit. Par contre de nombreux lieux font le choix de programmer en décentralisé et sortent de leurs murs pour aller dans des espaces où ils ont moins ou pas l’habitude de travailler : des salles des fêtes ou salles polyvalentes, des MJC, des centres sociaux-culturels, des médiathèques, mais aussi une église à Verdun (55)… Ces gestes de programmation traduisent la faculté du cirque à s’adresser au plus grand nombre, et il me semble qu’en tant qu’opérateurs nous avons tout intérêt à soutenir ces créations susceptibles de se jouer partout, en particulier celles qui font preuve d’une véritable réflexion sur le rapport au territoire. Lesquelles sont encore assez rares et méritent à mon avis de se développer. Des lieux y travaillent, comme Le Plongeoir – Cité du Cirque, Pôle National Cirque du Mans (72) qui a par exemple porté la création de cirque en musée Axis mundi de la Cie ISI ou encore La Verrerie – Pôle National Cirque Occitanie avec le dispositif « Cirque Portatif » accompagnant des spectacles de cirque tout terrain et tout public. Pour la Nuit du Cirque, la ville d’Aigues-Mortes (30) présente l’une des créations nées de ce dispositif : La Supérette d’Édouard Peurichard.

La grande majorité des spectacles que vous évoquez jusque-là sont des créations très récentes. Pour autant, la Nuit du Cirque permet-elle aussi de voir des pièces plus anciennes, voire de répertoire, lequel fait l’objet d’une attention de plus en plus aiguë depuis quelques années de la part des artistes aussi bien que des opérateurs ?

En effet, la Nuit du Cirque met largement en avant la création circassienne la plus récente. Alors qu’elle était à ses débuts surtout un temps de diffusion pour les structures participantes, celles-ci sont de plus en plus nombreuses à se saisir de l’événement comme d’une occasion pour programmer des créations circassiennes inédites. Ce qui nous renseigne sur l’importance grandissante de cette Nuit du Cirque au sein du milieu et du spectacle vivant dans son ensemble, et nous dit aussi beaucoup du rapport des lieux au cirque contemporain, dans la mesure où chacun est entièrement libre de programmer pendant la Nuit ce qu’il veut comme il le veut. Cet attrait pour la nouveauté peut être vu comme la preuve d’un désir de donner à voir la vitalité et la grande diversité de ce champ de la création encore assez largement méconnu, ce qui était l’un des objectifs initiaux de TDC en créant cette manifestation de très grande ampleur. Cependant ce goût du récent, qui s’exprime aussi par une belle mise en avant d’artistes émergents, ne se fait pas au détriment de personnalités plus établies. Avec Parbleu ! de l’Atelier Lefeuvre et André qu’elle programme dans deux villes différentes, c’est par exemple un duo de la première génération du cirque de création que met à l’honneur La Transverse, Scène ouverte aux Arts Publics en Bourgogne Franche-Comté. Le Sablier – Centre National de la Marionnette en Normandie a porté son dévolu sur une autre compagnie née à peu près à la même époque, Max & Maurice. On trouve encore des noms comme Jani Nuutinen, le Cirque Aïtal, la compagnie Rasposo…

Sans oublier les artistes et compagnies de la génération intermédiaire, dont certains contribuent avec force au renouveau des écritures circassiennes.

Tout à fait. L’Azimut (92) par exemple consacre sa Nuit à Maroussia Diaz Verbèke avec sa nouvelle création qui sort pour l’occasion, Circus Remake, et une conférence sur la notion de « circographie » qu’a développé cette artiste, réunissant circassiens et personnalités du monde de la recherche. Au programme aussi la compagnie EAEO et Defracto, qui font beaucoup pour le jonglage. Plusieurs collectifs sont également représentés comme TBTF à La Cascade – Pôle National Cirque (83) ou la Cie La Barque Acide au Sirque – Pôle National Cirque de Nexon (87), qui adoptent le modèle à succès de Galapiat qui appartient à cette même génération : ils font des spectacles ensemble et réalisent des créations individuelles, ce qui les rend plus forts face aux institutions. Cette cohabitation au sein de la Nuit du Cirque d’artistes de générations différentes reflète bien la réalité du réseau, qui a des assises solides et continue à se développer dans des directions multiples. Parmi lesquelles un cirque d’actualité, porté sur des questions d’actualité telles que l’identité, l’écologie, l’engagement, ou encore un cirque qui se revendique de sa part poétique, ou bien divertissante.

L’appel à participation à la Nuit du Cirque cette année s’est faite sur un mot d’ordre, la convivialité « extraordinaire », celle qui surpasse la convivialité « ordinaire » des structures. Cette idée s’exprime avec une puissance particulière dans certains lieux qui décident d’éditorialiser l’événement pour en faire un moment particulier de leur saison.

La Nuit du Cirque est de plus en plus l’occasion pour les lieux et leurs équipes de faire preuve d’originalité, d’effectuer un « pas de côté », de concocter un accueil différent, surprenant, et de coconstruire également avec les artistes des propositions atypiques. C’est en ce sens que l’on peut parler d’une convivialité « extraordinaire ». Pour certains lieux en effet, la Nuit du Cirque est devenue un rendez-vous singulier, où les formats habituels de programmation sont bousculés, où l’on imagine des façons originales d’inviter le spectateur.

Que leur cœur d’activité soit circassien ou plus généraliste, on constate que de nombreux lieux se prêtent à ce jeu, exprimant là un besoin fort de déployer des rendez-vous hors-normes au moment de la Nuit, afin de la faire vraiment exister chez eux. Le Plongeoir, au Mans (72) et l’ONYX, Théâtre de Saint-Herblain sont devenus spécialistes en la matière : chaque équipe décide de prendre l’invitation de TDC au pied de la lettre en faisant vraiment durer l’événement jusqu’à la levée du jour. Cette année ils ont décidé d’échanger leurs spectateurs et spectatrices pour vivre deux Nuits du Cirque en deux jours. 20 Mancelles et Manceaux sont invités à passer la première soirée du 15 novembre à l’ONYX, avec trois compagnies qui traitent à leur façon la question du corps, de son acceptation. Trois spectacles autour de la différence pour célébrer l’altérité en toute convivialité. Ils rentreront en train au Mans avec dans leurs bagages 20 spectateurs et spectatrices de l’ONYX. L’artiste jongleur Johan Swartvagher sera du voyage, ainsi qu’Amanda Delgado et Alejo Gamboa de la compagnie Alta Gama. L’équipe du Plongeoir proposera, en deuxième soirée, une « balade au clair de lune », une invitation à se réapproprier la nuit dans un lieu tenu secret et en grande proximité avec la dizaine d’artistes conviés pour l’occasion. Elle sera suivie par un repas-spectacle intimiste au chapiteau.

D’autres lieux font la part belle aux étapes de création. En quoi est-ce intéressant ?

Présenter des étapes de création est une manière pour les structures de faire entrer le spectateur dans le processus artistique, de l’associer davantage à leur fonctionnement. Les labels sont nombreux à faire ce choix, en particulier ceux qui ont des écoles. Lesquelles, qu’elles soient professionnelles ou amateures, occupent aussi une place majeure dans la Nuit, qu’elles saisissent comme une opportunité d’ouvrir leurs portes et de s’essayer à la rencontre avec un public. Certaines ont un spectacle à partager, d’autres un cabaret ou encore un atelier… Cette participation est essentielle : elle concourt à faire de la Nuit un miroir de ce qu’est le cirque, c’est-à-dire un milieu à l’identité complexe, où pratiques amateures et professionnelles entretiennent des rapports divers bien que pas toujours visibles. C’est une mise en valeur pratique et très palpable de ce que l’on appelle l’écosystème ou la filière du cirque de création qui inclut un ensemble d’acteurs de la transmission à la création en passant par la production et la diffusion.

La Nuit du Cirque est aussi un endroit privilégié depuis lequel regarder le développement du cirque de création à l’international.

La participation de pays étrangers à la Nuit du Cirque, plus importante à chaque édition, permet de remettre en question une idée reçue selon laquelle le cirque de création serait très franco-français. S’il est en effet né en France et s’y est structuré avec vigueur, il prospère ailleurs sous des formes parfois proches, parfois tout autres. La Belgique, participante historique à la Nuit du Cirque, et qui pour la première fois cette année s’y inscrit avec le réseau Circuscentrum, a comme la Suisse un paysage circassien assez ressemblant au nôtre. L’Allemagne, qui est aussi de la Nuit, voit se développer à côté de sa tradition cabarettiste des formes nouvelles. L’Autriche est aussi de la partie, ainsi que la République Tchèque dont on entend de plus en plus parler dans la planète cirque. La Nuit du Cirque offre ainsi aux opérateurs des ouvertures possibles vers d’autres cirques. Et inversement, elle permet à celles et ceux qui portent ces cirques d’ailleurs d’avoir une idée du cirque français, de ses différents visages.

L’an dernier, TDC soutenait la compagnie ukrainienne Inshi. Ce type d’engagement va-t-il se poursuivre ?

Ce travail autour d’Inshi a permis l’expérience d’une belle coopération au sein de TDC. Cela constitue une base pour le travail de mise en place d’un fond de production réalisé cette année, dont les fruits seront partagés publiquement à l’occasion de cette prochaine édition. Au terme d’un appel à remontée des projets auprès de tous les membres de TDC, un grand et un petit format vont être sélectionnés pour bénéficier d’un soutien. Pour que la Nuit et le cirque dans son ensemble continuent de briller…

Propos recueillis par Anaïs Heluin

L’équipe de la nuit du cirque

Secrétaire générale de Territoires de Cirque,
direction éditoriale et coordination de la Nuit du Cirque

Delphine Poueymidanet

Assistée par
Tania Reyes et Arthur Sarron

Design graphique
Magali Brueder, Aéro Club

Site internet (design + code)
Salomé Macquet

Communication web
Annelise Guitet

Relation presse nationale
bureau nomade
Carine Mangou et Estelle Laurentin

Traductions anglaises
Jeremy Mercer

Journaliste
Anaïs Héluin

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